La Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) est un dispositif remarquable sur le papier. Elle reconnaît l’expérience, valorise les parcours et permet de transformer des années de pratique en diplôme.
Mais dans la réalité, elle ne récompense pas toujours les plus compétents. Et ce constat, bien que difficile à entendre, relève moins d’une injustice que d’une logique propre au système.
Entre compétence réelle, compétence prouvée et perception du jury, il existe parfois un fossé. Voici huit raisons, issues de la pratique de terrain, qui expliquent pourquoi la VAE ne valorise pas toujours ceux qui le mériteraient le plus — et comment transformer cette apparente injustice en levier de réussite.
1. La VAE n’évalue pas le mérite, mais la preuve
C’est là la racine du malentendu.
Beaucoup de candidats perçoivent la VAE comme une reconnaissance morale du parcours — une manière de dire : « vous avez bien travaillé, vous méritez votre diplôme ».
Or, la VAE n’est pas une récompense, mais une procédure de certification.
Elle ne juge ni le talent, ni l’engagement, ni la réputation.
Elle vérifie si ce qui a été réalisé correspond aux critères d’un référentiel : une grille nationale composée d’objectifs, d’indicateurs et de compétences mesurables.
Le dossier VAE n’est donc pas une autobiographie professionnelle, mais un exercice de traçabilité.
On peut être excellent dans son métier, mais si les preuves ne répondent pas aux attendus du diplôme, la validation bloque.
C’est un peu comme un contrôle technique : le véhicule peut rouler parfaitement, mais si le feu arrière est cassé, le verdict restera le même — non conforme.
2. Les plus compétents sont souvent dans l’implicite
Le paradoxe est bien connu : plus on devient expert, moins on explique ce que l’on fait.
Avec l’expérience, les gestes deviennent réflexes, les raisonnements intuitifs. Or, la VAE demande exactement l’inverse : expliciter ce que l’on fait sans y penser.
C’est comme demander à un musicien virtuose de décrire, note par note, ce qu’il joue depuis vingt ans.
Beaucoup de candidats se heurtent à cette difficulté : leur compétence est réelle, mais tacite.
Or, dans le cadre d’un diplôme, ce qui n’est pas expliqué n’existe pas.
Le jury ne peut pas valider une intuition : il a besoin de mots, de preuves, d’analyses.
3. La VAE exige une compétence supplémentaire : la réflexivité
La réflexivité est la capacité à penser ce que l’on fait, pendant qu’on le fait.
C’est ce qui permet d’expliquer :
- pourquoi une action a été menée,
- dans quel cadre,
- avec quel objectif,
- quels résultats ont été obtenus,
- et ce que l’on en a appris.
Cette compétence, rarement enseignée, se révèle pourtant centrale dans une VAE.
Faire, c’est une chose. Penser ce que l’on fait, c’en est une autre.
C’est la différence entre conduire et enseigner la conduite.
Le conducteur agit par réflexe ; l’enseignant analyse chaque geste, anticipe les erreurs et les explique.
La VAE mesure cette capacité de recul : elle évalue non seulement le savoir-faire, mais aussi la conscience du savoir-faire.
4. La forme compte autant que le fond
Deux dossiers peuvent décrire la même expérience et produire des effets totalement différents.
La raison est simple : la VAE est aussi un exercice de communication.
On y juge sur un écrit, puis sur un oral. Et si le message n’est pas clair, structuré, lisible, la compétence reste invisible.
Ce n’est pas une question d’éloquence, mais de lisibilité.
Le jury ne cherche pas les pépites cachées : il vérifie la conformité.
S’il ne trouve pas les éléments attendus, il ne peut pas les inventer.
Ainsi, dans une VAE, la manière de présenter ses preuves est presque aussi importante que les preuves elles-mêmes.
5. La VAE demeure un dispositif académique et administratif
On l’oublie souvent : la VAE n’a pas été conçue par les entreprises, mais par le système éducatif.
Elle est donc encadrée, normée, institutionnelle.
Les jurys ne sont pas là pour juger des parcours, mais pour garantir une équivalence nationale entre diplômés.
Autrement dit, la VAE ne s’adapte pas à votre parcours : c’est à vous de vous adapter à la VAE.
Ce n’est pas forcément juste, mais c’est la condition pour préserver la valeur du diplôme.
6. Le jury évalue la posture, pas la performance
C’est souvent une découverte douloureuse.
On peut avoir vingt ans d’expérience, des résultats probants, une forte reconnaissance professionnelle… et ne pas obtenir la validation.
Le diplôme ne certifie pas la réussite, mais la capacité à se situer dans un cadre professionnel.
Le jury observe la posture : la manière dont le candidat se positionne dans une équipe, dans une stratégie, dans un environnement plus large que lui.
Il s’intéresse à la cohérence du raisonnement, à la conscience du contexte, au savoir-être professionnel.
Ainsi, la VAE ne mesure pas la performance, mais la posture.
Ce n’est pas toujours perçu comme juste, mais c’est cohérent avec la logique académique des diplômes français.
7. Le jury ne voit pas le chemin parcouru, seulement l’instant présent
C’est sans doute l’une des limites les plus frustrantes du dispositif.
L’accompagnateur perçoit tout le parcours : les débuts hésitants, les progrès, les déclics.
Le jury, lui, ne voit qu’un instantané : un dossier, un entretien, un moment précis.
Il ne mesure pas l’effort, ni le cheminement.
Et parfois, cet instant ne reflète pas la réalité du travail accompli.
Le stress, la fatigue ou la retenue peuvent donner une impression de fragilité, effaçant des mois de préparation.
La VAE, malgré sa rigueur, reste un exercice humain — donc subjectif.
Elle dépend aussi d’un regard, d’un moment, d’un ressenti.
8. La compétence ne suffit pas sans stratégie
La VAE est un projet. Et comme tout projet, elle se prépare.
Ceux qui réussissent ne sont pas forcément les plus brillants, mais souvent les plus stratégiques.
Ils choisissent le bon diplôme, au bon niveau.
Ils préparent leurs preuves, anticipent leurs écarts, travaillent leur oral.
Ils se font accompagner non pas pour être “aidés”, mais pour comprendre le système.
La VAE récompense les stratèges de la preuve, pas seulement les praticiens du métier.
Apprendre à se raconter, à structurer son parcours et à penser comme le jury, c’est déjà une victoire.
Oui, la VAE peut sembler injuste.
Oui, certains des plus compétents échouent.
Mais il faut comprendre que la VAE n’est pas un jugement de valeur.
C’est une traduction académique et administrative de l’expérience professionnelle.
Elle ne dit pas : « vous êtes bon » ou « vous êtes mauvais ».
Elle dit : « voici ce que vous avez su démontrer, dans ce cadre précis, à ce moment donné ».
Lorsqu’on comprend cela, on cesse de subir la démarche pour en devenir acteur.
On apprend à jouer avec les règles, à mieux se raconter, à mieux se structurer.
Et c’est là que se produit la véritable reconnaissance : celle que l’on construit en chemin.
Une reconnaissance intime, durable, qui vaut parfois bien plus qu’un diplôme.