🩺 À l’occasion du mois du sanitaire et social, parlons de santé mentale.
Et plus précisément, de la santé psychologique des candidats à la VAE.
Chez JACEF, nous accompagnons chaque année des professionnels du secteur sanitaire, médico-social, éducatif ou social dans leurs démarches de validation des acquis de l’expérience. Ce sont souvent des personnes engagées, tenaces, modestes.
Et très souvent aussi, des personnes fatiguées, chargées émotionnellement, ou même troublées par ce que cette démarche vient réveiller.
La VAE est une opportunité précieuse.
Mais elle peut aussi devenir une épreuve intérieure, silencieuse, lorsqu’elle réactive des pans oubliés – ou tus – de son parcours.
👤 Le concept de “soi hanté” : une grille de lecture utile
Le sociologue Marc Augé parle du “soi hanté” pour désigner le fait que nos identités ne sont jamais totalement unifiées ni figées.
Nous portons en nous des strates de nous-mêmes : des expériences passées, des rôles invisibles, des renoncements, des blessures professionnelles, des ambitions avortées.
Et dans une démarche comme la VAE, ces dimensions refont surface.
Ce n’est pas pathologique.
C’est humain.
Mais cela demande de la lucidité et de la bienveillance envers soi-même.
🔁 Ce que la VAE réveille, au-delà du dossier
En accompagnement, nous observons régulièrement des signaux faibles de tension ou de fatigue psychique chez les candidats, parfois dès les premières semaines :
- Des souvenirs refoulés qui remontent, notamment liés à des situations de surcharge, de non-reconnaissance ou de souffrance éthique.
- Des émotions inattendues face à des tâches d’écriture pourtant simples en apparence.
- Des récits qui oscillent entre fierté et colère, entre besoin de reconnaissance et peur du jugement.
Ce phénomène est particulièrement visible dans le secteur sanitaire et social, où l’investissement personnel, la loyauté et l’engagement émotionnel sont souvent très forts… mais rarement valorisés à leur juste mesure.
📚 Pourquoi ce n’est pas un simple “effet secondaire” de la VAE
Il ne s’agit pas ici d’un obstacle temporaire qu’il faudrait “dépasser”.
Il s’agit d’une fonction implicite de la VAE :
Elle oblige à se retourner sur son passé, à l’organiser, à le raconter, parfois à le justifier.
Et dans cette mise en récit, certains candidats découvrent ce qu’ils ont réellement traversé :
- Une prise de poste dans l’urgence.
- Un management toxique.
- Des responsabilités assumées sans cadre ni soutien.
- Un épuisement répété, normalisé.
- Une fonction jamais reconnue, mais essentielle.
La VAE devient alors une mise à jour identitaire.
Et parfois, un travail de réparation.
🛠️ 5 outils pour traverser cette zone sensible sans s’effacer
Voici cinq pratiques puissantes et originales que nous partageons avec les candidats, pour les aider à naviguer dans cette part sensible de la démarche VAE. Elles ne visent pas à « aller mieux », mais à faire quelque chose de ce qui remonte, en l’intégrant à la construction du dossier – ou à la reconnaissance de soi.
1. 🔇 Le lexique interdit
“Je n’ai jamais dit que j’étais…”
“On ne m’a jamais reconnu comme…”
Cette phrase simple est un point de départ.
Beaucoup de candidats n’ont jamais mis de mots sur certaines fonctions qu’ils ont exercées sans le titre, sans le contrat, sans le soutien.
En les formulant enfin, même à voix basse ou sur un carnet personnel, on restaure un droit fondamental : celui de se nommer soi-même.
👉 Exemples :
- “Je n’ai jamais dit que j’étais une stratège, mais j’ai piloté toutes les réunions de projet.”
- “On ne m’a jamais reconnu comme formatrice, mais j’ai formé cinq collègues en interne.”
2. 🪶 L’archéologie des petits gestes
Certaines compétences passent sous les radars des référentiels, parce qu’elles sont trop ancrées dans le quotidien pour être vues.
On invite ici le candidat à identifier trois gestes récurrents qu’il a faits pendant des années, sans les nommer comme des compétences.
👉 Exemples :
- “Je relis les documents de mes collègues avant envoi” → sens du détail, rôle de relecture informelle.
- “Je prépare les salles, le matériel, les supports avant les réunions d’équipe” → sens de l’anticipation, posture logistique discrète mais essentielle.
- “Je suis celle vers qui les nouveaux viennent poser leurs questions” → posture de transmission spontanée.
🧩 Ces gestes sont souvent au cœur de l’utilité réelle du travail, même s’ils ne figurent nulle part dans la fiche de poste.
3. ✍️ Le récit impossible
Il y a, dans chaque parcours, des situations trop sensibles, trop complexes, trop douloureuses pour figurer dans un dossier VAE.
Mais cela ne signifie pas qu’il faut les effacer.
Nous conseillons d’écrire ce “récit impossible” :
L’événement qu’on ne racontera peut-être jamais au jury, mais qui a compté.
Ce qui a bouleversé la manière de travailler, de voir le métier, de se positionner.
🎯 Pourquoi l’écrire malgré tout ?
Parce que cela permet de mettre en forme ce qui, sinon, reste un nœud émotionnel diffus.
Et parfois, à force de maturité, une partie de ce récit trouve finalement sa place dans le livret, transformée, traduite.
4. 🧭 Le contre-CV émotionnel
La plupart des parcours professionnels sont racontés en termes de postes, de dates, de missions.
Mais derrière cette lecture “froide”, il y a une autre trame : la trame émotionnelle et éthique du parcours.
L’exercice consiste à reprendre chaque poste ou période-clé, et à associer trois éléments :
- Une émotion dominante (frustration, fierté, solitude, feu intérieur, apaisement…)
- Une valeur en jeu (loyauté, autonomie, transmission, justice, soin…)
- Un verbe d’action invisible (tenir, réparer, porter, relier, contenir…)
👉 Exemple :
“Poste d’auxiliaire de vie → Fatigue / Dignité / Accompagner”
“Années d’intérim → Instabilité / Résilience / Adapter”
🎯 Cette approche permet une relecture vivante et complète du parcours, au-delà des cadres normés.
5. 🪞 Le miroir inversé
Les candidats à la VAE sont souvent très critiques envers eux-mêmes.
Par modestie, par habitude, ou parce qu’on leur a appris à “ne pas se mettre en avant”.
L’exercice du miroir inversé consiste à imaginer une personne bienveillante – réelle ou fictive – qui aurait suivi leur parcours de l’extérieur.
Et à se poser une série de questions :
- Comment raconterait-elle ma trajectoire ?
- Qu’est-ce qu’elle verrait que je ne vois plus ?
- Qu’est-ce qu’elle jugerait admirable, que je considère comme “normal” ?
🎯 Cet effet de miroir permet de rééquilibrer la perception de soi, et de redonner de la valeur à ce qui a été banalisé par l’habitude.
🎯 Conclusion — Ce que la VAE permet, au-delà du diplôme
La Validation des Acquis de l’Expérience est souvent présentée comme un dispositif administratif, méthodique, normé.
Et c’est vrai, en partie.
Mais dans la réalité vécue des candidats, la VAE est bien plus que cela.
C’est une démarche de mise en lumière, de relecture identitaire, parfois même de réconciliation intime avec son parcours.
Car il ne s’agit pas seulement de faire reconnaître des compétences.
Il s’agit de se reconnaître soi-même, dans ce que l’on a porté, inventé, traversé, et parfois enduré – sans témoin, sans validation, sans diplôme.
Certaines étapes de cette démarche sont exigeantes.
Elles remuent des souvenirs, réveillent des colères ou des doutes enfouis.
Mais ce n’est pas un accident du processus.
C’est une part entière de ce que la VAE rend possible :
retrouver une cohérence, redonner une forme à ce qui a été morcelé, et peut-être même, réhabiliter une dignité professionnelle parfois oubliée.
Alors si, en avançant dans votre VAE, vous vous sentez “hanté” par des fragments de passé, ne les balayez pas trop vite.
Écoutez-les.
Donnez-leur un espace.
Et transformez-les en récit. En preuve. En force.